Le 21 août 1981, Flamengo et l’Atlético Mineiro, deux grands favoris pour le titre de la Copa Libertadores, s’affrontaient dans un match d’appui sur terrain neutre pour une place au second tour de la compétition. Cette belle affiche tournera au fiasco avec un match arrêté après à peine plus d’une demi-heure de jeu. On revient sur ce match polémique, en passant par les rencontres qui l’ont précédé et qui ont initié la plus grande rivalité entre deux équipes d’un État différent du Brésil.
Le début des années 80 est une période inoubliable pour le football brésilien, et marquent son âge d’or. Les meilleurs joueurs évoluent au pays à leur apogée, la seleção éblouit le monde avec son futebol-arte. Cette situation allait commencer à changer après le Mondial 82 en Espagne avec de nombreux joueurs qui ont quitté le pays comme Zico, Júnior, Toninho Cerezo et Sócrates qui ont rejoint Falcão en Italie. Les trois premiers cités évoluaient alors dans deux des plus grandes équipes de l’époque : Flamengo et l’Atlético Mineiro, les deux équipes qui ont disputé le titre du championnat brésilien de 1980, lors d’une finale qui est considérée comme la plus belle de l’histoire de la compétition. C’est d’ailleurs cette finale qui a initié la plus grande rivalité “interestadual” (entre deux États différents) du Brésil.
La finale du Brasileirão 1980 : la naissance d’une rivalité
Si aujourd’hui Flamengo et l’Atlético-MG font partie des meilleures équipes du pays, il y a 40 ans, l’attente lors des rencontres entre les deux équipes était encore plus grande. Avec des joueurs qui forment la base de la sélection brésilienne et d’autres cracks comme João Leite, Toninho Cerezo, Éder, Reinaldo du côté du Galo et Raúl, Júnior, Andrade, Zico, Nunes, côté Flamengo, les deux équipes règnent alors sur leur championnat d’État respectif.
Après un très bon parcours dans le championnat brésilien, les deux équipes se retrouvent en finale, qui se dispute en match aller-retour. Le titre de champion du Brésil est en jeu. Dans une finale électrisante marquée par des polémiques qui a attiré aux alentours de 250 000 supporters dans les stades, le Rubro-Negro et le Galo ont livré deux matchs épiques dans le Brasileirão 1980.
Au match aller, près de 100 000 personnes s’entassent dans les tribunes du Mineirão pour voir le but de Reinaldo permettre à l’Atlético Mineiro de s’imposer 1-0 (voir la vidéo). Blessé, Zico, la grande star de Flamengo, est laissé au repos et ne participe donc pas à la rencontre. Heureusement pour lui, car celle-ci est marquée par la violence et de nombreuses fautes. Rondinelli repart d’ailleurs avec une fracture de la mandibule après un duel avec Éder.
Un match retour épique
Au match retour, ce sont plus de 150 000 personnes qui se sont rendues au Maracanã pour assister à un des matchs les plus mémorables de l’histoire du Brasileirão. En cas de victoire (même 1-0), Flamengo est assuré de remporter le titre pour avoir effectué une meilleure campagne que l’Atlético en demi-finale : deux victoires face à Coritiba pour le Mengão tandis que le Galo a remporté une victoire et fait un match nul contre l’Internacional.
Dès les premières minutes de jeu, Nunes, bien servi par Zico ouvre le score pour Flamengo. Une joie de courte durée, car Reinado égalise dans la foulée. Flamengo reprend l’avantage juste avant la pause grâce à un but de Zico qui permet à son équipe de rentrer au vestiaire en étant virtuellement champion. À l’heure de jeu, premier coup dur pour les Alvinegros avec Reinaldo qui se blesse à la cuisse, mais qui est contraint de rester sur le terrain, les changements autorisés ayant déjà été effectués. C’est ce même Reinaldo qui sur un centre d’Eder va égaliser une nouvelle fois. Il s’ensuivit un arbitrage désastreux de José de Assis Aragão. Après ce but égalisateur, l’arbitre signale à tort un hors-jeu de Reinaldo qui s’apprête à lancer Palhinha qui se serait retrouvé en face à face avec le gardien Plassmann. Si cela ne suffisait pas, il expulse ensuite le “Rei alvinegro” pour avoir gêné le coup franc donné à Flamengo. En supériorité numérique, Flamengo en profite pour mettre la pression sur la défense adverse qui finit par craquer à la 82e minute de jeu, avec Nunes qui marque le but du 3-2 pour les Cariocas. En fin de match, deux autres joueurs voient rouge et l’Atlético Mineiro termine le match à huit contre onze. D’abord, c’est Chicão qui est logiquement expulsé après s’être essuyé les crampons sur Tita, puis Palhinha pour contestation.
Malgré l’égalité au cumul des scores, Flamengo est sacré champion, et de ce match est née la plus grande rivalité interétatique au Brésil. Cette bataille entre l’Atlético-MG et Flamengo lors de la finale de 1980 a servi de présage à ce qui allait se passer durant la Copa Libertadores de l’année suivante.
Des retrouvailles sur fond de tension en Copa Libertadores
Après avoir disputé le titre brésilien en 1980, remporté par Flamengo, les deux clubs se retrouvent lors de la Copa Libertadores 1981. Les deux équipes représentent le Brésil dans le groupe 3, accompagnés par les clubs paraguayens de Cerro Porteño et Olímpia.
Pour commencer, il est nécessaire de rappeler le règlement de la compétition de cette année-là. Les vingt équipes engagées sont réparties en cinq poules de quatre équipes, avec deux clubs de deux pays dans chaque poule. Seul le premier de chaque groupe se qualifie pour le deuxième tour, où ils sont rejoints par le tenant du titre. Deux poules de trois équipes sont formées et le vainqueur de chaque poule se qualifie pour la finale. Celle-ci se joue en matchs aller-retour, avec un match d’appui en cas d’égalité sur les deux matchs.
À partir de ces précisions, on peut comprendre pourquoi le match entre l’Atlético et Flamengo est si controversé. Les deux clubs font alors partie des favoris pour le titre. Une tension existe entre les deux équipes en raison de la finale de 1980, et le sort a voulu que les deux se retrouvent dans le même groupe.
Une égalité parfaite à la fin des 6 journées
Pour la première journée, l’Atlético accueille Flamengo au Mineirão dans un match qui garde encore les stigmates de la finale du Brasileirão 1980, remportée par le club carioca. José Roberto Wright, ce même arbitre qui sera à l’origine du match polémique au Serra Dourada le mois suivant, arbitre la rencontre. Le Galo débute parfaitement la rencontre et mène 2-0 à la pause grâce à un doublé d’Éder, mais Flamengo arrache finalement le match nul 2-2 en seconde période grâce à des buts de Nunes et Marinho (voir le résumé du match).
Les deux équipes se quitteront sur ce même score un mois plus tard au Maracanã. Après que Palhinha ait ouvert le score pour le Galo, Nunes et Tita ont égalisé puis donné l’avantage au Fla en l’espace de trois minutes, en profitant d’erreurs grossières de la défense de l’Atlético. Mais c’était sans compter sur le “Rei alvinegro”, qui parvient à égaliser pour sceller le résultat final (voir le résumé). Ce résultat est plutôt favorable à Flamengo qui ne dépend plus que de lui pour se qualifier pour le second tour.
En effet, à ce stade de la compétition, l’Atlético Mineiro a déjà disputé tous ses matchs alors que Flamengo doit encore se rendre au Paraguay, pour affronter Olimpia et Cerro Porteño, déjà éliminés. Avec deux victoires, l’équipe carioca finirait en tête du groupe. Afin que les deux équipes jouent le jeu sérieusement, il se dit très fort que des émissaires de l’Atlético Mineiro se seraient rendus à Asunción pour donner des “malas brancas”, de l’argent à des joueurs des deux clubs pour qu’ils jouent le match à fond, afin de garder des chances de se qualifier.
Flamengo remporte son premier match contre le Cerro Porteño sur le score de 4-2, avec Zico qui inscrit un triplé, mais se fait accrocher par Olimpia sur un score vierge. À la fin des six journées, les deux équipes se retrouvent alors avec le même bilan, avec deux victoires et quatre matchs nuls. Flamengo compte une meilleure différence de buts, mais cela n’est pas suffisant pour se qualifier. Un match d’appui sur terrain neutre est nécessaire pour départager les deux équipes, et en cas d’égalité, c’est Flamengo qui se qualifierait grâce à cette meilleure différence de buts.
Le polémique Flamengo – Atlético-MG en Copa Libertadores 81
Pour le choix du lieu de la rencontre, qui doit se jouer sur un terrain neutre, Flamengo a suggéré trois stades : le Castelão à Fortaleza, le Fonte Nova à Salvador et le Serra Dourada à Goiânia. Le Galo préférait le Morumbi (avec l’idée que la rivalité Rio-São Paulo ferait que les Paulistas supportent l’Atlético). La Conmebol a finalement opté pour le Serra Dourada, considéré alors presque à l’unanimité comme la meilleure pelouse du pays. Le rendez-vous est pris pour le 21 août au Serra Dourada, à Goiânia, devant plus de 70 000 spectateurs. Dommage que le match n’ait duré que 37 minutes.
Dans un climat très tendu, les deux équipes ont des difficultés à présenter leur meilleur football et le match est très haché. La violence a pris le dessus sur la confrontation, avec des actions violentes des deux côtés. Dès la 6e minute de jeu, Cerezo est le premier joueur averti par José Roberto Wright pour avoir stoppé une contre-attaque, imité quelques minutes plus tard par Palhinha pour un tacle en retard, puis Vaguinho pour une semelle sur Júnior. Mais Flamengo n’est pas en reste et Éder puis Carlos Mozer prennent également leur biscotte.
À la demi-heure de jeu, face aux nombreuses fautes, l’arbitre a déjà distribué cinq cartons jaunes. Ce dernier tente de calmer le jeu, comme le racontera plus tard Zico. « Il y a deux grosses fautes, une de chaque côté, Wright m’a appelé ainsi que Cerezo, les deux capitaines. Il nous a dit d’avertir notre équipe que le premier qui faisait un tacle par-derrière serait expulsé. Je n’avais jamais vu ça. J’ai réuni mon équipe et je les ai prévenus. Ça n’a pas duré cinq minutes. » Reinaldo en fera les frais.
Le début de la mascarade
À la 33e minute, Zico souffre une faute de Reinaldo par-derrière et l’Atleticano reçoit un carton rouge direct, à la surprise de tous. José Roberto Wright semble plus agité que les joueurs eux-mêmes. Les joueurs du Galo contestent cette décision, mais Wright s’en tient à sa parole, et ordonne de reprendre le jeu.
Mais moins de deux minutes après l’expulsion de Reinaldo, le Galo subit une nouvelle infraction, Eder tente de jouer rapidement la faute, mais Wright retire le ballon de ses pieds et les deux finissent par se heurter. L’arbitre sort immédiatement le carton de sa poche et l’expulse. Abasourdi, l’attaquant tombe à genoux. Joueurs, spectateurs, commentateurs, personne ne comprend cette décision. Plus tard, l’arbitre dira que le joueur l’a insulté, mais il n’y a pas de replay, on ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé.
Suite à cette décision polémique, l’équipe technique de l’Atlético envahit le terrain. Les joueurs se révoltent, la presse entre également sur la pelouse et entoure l’arbitre. Le staff demande à l’équipe de quitter le terrain. Les joueurs de l’Atletico commencent à insulter l’arbitre. Au milieu de la confusion, Chicão et Palhinha reçoivent un carton rouge. L’entraîneur Carlos Alberto Silva est également expulsé.
Alors que quatre joueurs ont déjà été exclus, les dirigeants demandent à l’équipe de quitter le terrain et de ne plus jouer. Les joueurs quittent le terrain en faisant des gestes pour montrer qu’ils se font voler par Wright. Le chronomètre est arrêté. Flamengo attend sur le terrain tandis que les joueurs de l’Atlético sont rentrés aux vestiaires. Il y a des policiers partout ainsi que la presse qui cherche à avoir des informations. Wright attend, car avec sept joueurs, le match n’est pas interrompu d’après le règlement.
Finalement, au bout de quinze minutes, juste avant que Wright mette un terme à la rencontre, le Galo décide de revenir sur le terrain pour ne pas être sanctionné. Wright dit que c’est terminé, que le temps d’attente est dépassé, mais l’Atlético est sur la pelouse et veut jouer. L’abitre envoie alors chaque équipe dans son camp pour reprendre le match. L’Atletico, qui compte sept joueurs sur le terrain, se réunit pour s’organiser. L’arbitre expulse tout le banc de l’Atletico, probablement pour l’invasion du terrain au moment de l’expulsion d’Eder. Le Galo n’a plus que sept joueurs sur le terrain, livrés à eux-mêmes.
Le match reprend, João Leite, gardien de but du Galo, s’écroule près de son but pour que le match se termine pour le nombre minimum de joueurs, mais malgré le gardien à terre, Wright n’interrompt pas le match pour que le gardien se fasse soigner. Les joueurs alvinegros ne veulent plus jouer et semblent préférer que le match se termine sur un 0-0 pour ensuite déposer un recours au tribunal. Après une faute en faveur du Galo, le soigneur demande que le brancard puisse entrer sur le terrain. Il n’y a plus aucun remplaçant. Wright dit aux soigneurs de sortir et João Leite reste allongé. L’arbitre perd patience avec le gardien et l’expulse pour simulation. Cette expulsion met un terme à la rencontre, car l’Atlético ne compte plus que six joueurs sur la pelouse, et d’après le règlement une équipe doit toujours disposer d’au moins sept joueurs sur le terrain. Fin de match au Serra Dourada (voir le résumé).
Il est difficile de savoir ce qu’il s’est réellement dit sur le terrain cette nuit-là. Reinaldo a même déclaré dans une interview qu’au début du match, Wright avait appelé les principaux joueurs des deux équipes pour une discussion :
«Il disait qu’il n’admettrait pas de grosses fautes et qu’il distribuerait des cartons. Mais il ne désignait que les joueurs de l’Atlético. »
Reinaldo, Boleiragem 2019 (SportTV)
Par la suite, Flamengo a été déclaré vainqueur du match sur le score de 1 à 0 par la Conmebol, qui a entendu que le club carioca n’était pas responsable des incidents. Ainsi, la Conmebol a non seulement ignoré la demande de l’Atletico de revoir le résultat, mais a également puni le club, car selon l’entité, l’équipe avait tenté d’abandonner le match à partir de l’expulsion du deuxième joueur.
Les expulsions effrénées et les motivations de l’attitude de l’arbitre n’ont jamais eu d’explications claires. On a dit que les joueurs de l’Atlético ne voulaient pas jouer ce match et qu’ils étaient nerveux, tout comme on a dit que le match avait été acheté par l’équipe carioca, entre autres explications. Le fait est que, pour l’Atlético, la blessure n’a jamais été guérie et la triste fin de ce match, suivie de la décision de Conmebol de garder Flamengo dans la compétition, a encore intensifié la rivalité entre les deux clubs. Une fin mélancolique pour une génération spéciale de l’Atlético.
Wright a été élu meilleur arbitre de cette édition de Libertadores, et Flamengo a poursuivi son petit bonhomme de chemin jusqu’à devenir champion de la compétition en battant Jorge Wilstermann (Bolivie) et le Deportivo Cali (Colombie) dans une demi-finale triangulaire, avant de s’imposer lors de la finale contre Cobreloa (Chili).
Wright a donné plusieurs interviews sur le sujet après sa retraite, en insistant toujours sur le fait que si c’était à refaire, il prendrait les mêmes décisions et qu’il n’a pas fait d’erreurs sur les cartons distribués, malgré que de nombreux arbitres aient déclaré que le carton correct pour Reinaldo aurait dû être le jaune. Alors, vol ou arbitre qui reste fidèle à ses idées ? Selon si vous posez la question à un flamenguista ou à un atleticano, la réponse sera différente. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas tous les jours que l’on voit un arbitre expulser cinq joueurs d’une équipe ainsi que tous ses remplaçants, et c’est pourquoi ce match restera à jamais gravé dans l’histoire du foot.
Crédits photos : Flamengo, Coluna do Fla, bolanaarea.com, mg.superesportes.com.br
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