La Democracia Corinthiana, est un mouvement qui s’est produit dans le club de Corinthians à São Paulo entre 1982 et 1984. Bien qu’il n’ait duré que deux ans, il aura marqué l’histoire du football brésilien, voire du football mondial.
Les origines de la Démocratie Corinthiane
« La structure du football mondial est une monarchie. Les dirigeants vivent comme dans un château bien gardé. Et les protagonistes du football, les joueurs, travaillent comme des singes dans un cirque. Mais ce n’a pas toujours été le cas. Vers 1982, en pleine dictature militaire, les joueurs du Corinthians ont pris le pouvoir. Les joueurs eux-mêmes décidaient de tout, ils se réunissaient et démocratiquement, ils choisissaient les méthodes de travail, les systèmes de jeu, les horaires d’entraînement, la répartition de l’argent… ils votaient absolument tout. On leur prévoyait les pires augures, mais durant ces années, le Corinthians a attiré les plus grandes foules dans tous les stades du Brésil, en plus de remporter consécutivement le championnat de São Paulo pendant deux ans, en proposant le football le plus audacieux et le plus éclatant de tout le pays. L’expérience de la « démocratie corinthiane » a été brève, mais elle en valait la peine. » Eduardo Galeano
Le contexte politique
Depuis la fin des années 1960, un spectre rôdait en Amérique du Sud, celui des soulèvements ouvriers et de leurs grands gestes héroïques qui se propageaient comme une traînée de poudre, et comme dans tout moment fort de la lutte des classes, il était contagieux.
Pour faire face à cela, l’impérialisme américain et la bourgeoisie locale ont décidé d’imposer une série de coups d’Etat civils-militaires dans presque tous les pays d’Amérique latine. Avec Kissinger en tête de gondole, commence alors le Plan Condor, un plan d’extermination de l’avant-garde de la classe ouvrière par les gouvernements. En utilisant les méthodes de l’armée française en Algérie, des étudiants, des travailleurs, des journalistes disparaissent, se font torturer, se font exterminer… Au Brésil, le Coup d’Etat a eu lieu en avril 1964, lorsque Humberto de Alencar Castelo Branco prit le pouvoir par la force.
Waldemar Pires prend la tête du club
En 1981, le Corinthians était pratiquement au fond du trou. Une série de mauvais résultats l’avait laissé dans une mauvaise situation sportive. Comme toujours dans l’histoire des équipes de football, des mauvais résultats et une mauvaise gestion provoquent aussi des gros problèmes économiques.
En avril 1982, pour une question de statut qui l’empêchait d’être ré-élu président du club, Vicente Matheus désigna Waldemar Pires comme son successeur. Quelques mois plus tard, lorsque Pires a obtenu la présidence après des élections, il a rompu les relations avec Matheus et offert le poste de directeur du football corinthian à un ancien leader universitaire et jeune sociologue, Adílson Monteiro Alves, qui ne s’y connaissait pourtant pas beaucoup en football, comme il le disait lui-même. Et c’est peut-être justement parce qu’il ne savait pas comment se gérait un club de football, qu’il a apporté des idées novatrices, encore jamais vues dans le sport.
Dès sa prise de position, il s’est entretenu avec les joueurs et leur a dit : « le pays lutte pour la démocratie. S’il y parvient, le football restera malgré tout en marge, car même dans les pays démocratiques, le football est conservateur. Nous devons changer cela« . Les joueurs se sont alors tous regardés. Sauf un : il y avait un grand maigre de 1,91 cm, qui sur le terrain était connu pour sa classe et ses talonnades. Son nom, Sócrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira, ou tout simplement Sócrates, nommé ainsi en hommage au célèbre philosophe grec.
Sócrates, Wladimir et Casagrande
Le Brésilien Sócrates, un médecin récemment diplômé, qui a fait passer sa passion pour le football avant sa carrière de médecin, amateur de débats (il était déjà compliqué de parler de politique dans la vie de tous les jours, alors imaginez dans un vestiaire !) a commencé a discuter avec Adílson Monteiro, qui écoutait les opinions des joueurs sur les sujets les plus divers liés au football. Cette réunion, qui normalement durait 15 minutes, a duré plus de trois heures, marquant le début de quelque chose de nouveau.
Wladimir Rodrigues dos Santos et un adolescent nommé Walter Casagrande sont également venu assister aux réunions suivantes. Wladimir est le premier joueur de l’histoire du Brésil à s’être considéré comme « un travailleur du football ». Il venait du militantisme syndical et avait participé activement aux grèves de l’ABC (région industrielle formée par sept municipalités de São Paulo). Étant noir, il souffrait de l’oppression des blancs. Il s’identifiait à « Zumbi dos Palmares », un chef guerrier du « Quilombo dos Palmares », un territoire du nord-est du Brésil organisé par les esclaves noirs fugitifs et leurs descendants, qui a été une zone exempte d’esclavage entre 1580 et 1710.
Walter Casagrande, âgé de 19 ans à peine, était issu de la contre-culture brésilienne, adepte du rock où des guitares distordues, une batterie rapide et une basse qui ne marque que les accords sont capables remettre en question tout un système d’oppression. C’était la dose de rébellion qui était nécessaire au mouvement.
Les débuts de la démocratie Corinthiane
À la suite des leurs discussions, ils sont arrivés à la conclusion que, vu que le club se trouvait dans des conditions déplorables, il fallait tester quelque chose de différent, et cette « chose différente » était la démocratie directe de tous ceux qui faisaient parti du football au sein du club.
La participation ne concernait pas uniquement les joueurs, le staff technique et la commission directive. Tous ceux qui travaillaient de près ou de loin pour le club ont été convoqués : intendants, chauffeurs de bus, personnel de maintenance, masseurs, jardiniers… absolument tout le monde a été convoqué, car le football ce n’est pas seulement les joueurs et la commission technique.
Toutes les opinions étaient valides et respectées, et chaque personne valait un vote. Au fur et à mesure que les réunions se déroulaient, ils ont commencé à discuter de toutes sortes de choses : les transferts de nouveaux joueurs, les salaires, l’utilisation de l’argent de la billetterie, les droits télé, les vacances, quand ils devaient se mettre au vert, quel jour ils devaient voyager, ils discutaient même de la tactique qu’ils allaient adopter lors des matchs. C’est ainsi qu’ils ont voté que tous ceux qui étaient mariés n’avaient pas à aller aux mises au vert.
Tout était soumis à une assemblée et était approuvé à la majorité. Faire les choses ainsi permettait un plus grand engagement de toutes les personnes liées au club, c’était un travail de tous. C’était aussi une façon de repenser la hiérarchie militaire qui était une structure pyramidale de pouvoir. C’est ainsi qu’est née la Démocratie Corinthiane.
La Democracia Corinthiana contre la dictadure militaire
Depuis la moitié des années 70, les mobilisations anti-coup d’Etat faisaient partie de la vie quotidienne des Brésiliens. La Democracia Corinthiana a fait partie de ce processus de demande de démocratie qui a su atteindre le peuple.
Conseillés par le directeur marketing Washington Olivetto (qui a d’ailleurs créé le terme Democracia Corinthiana), les joueurs ont commencé à porter des maillots sous les maillots officiels avec des messages qui allaient à l’opposé des idées politiques de l’époque comme : « eu quero votar para presidente« (je veux élire le président) et « diretas já » (élections directes tout de suite). Et ces messages ont été repris par les groupes de supporters organisés du club.
Le Corinthians était un des rares clubs qui n’avait pas de sponsor sur son maillot, du coup Washington Olivetto, qui avait toujours des nouvelles idées, a décidé de mettre la phrase “Democracia Corinthiana” sur le dos des maillots.
Si on analyse bien le flocage, on peut voir que le mot “Democracia” est d’une couleur foncée et sobre, et que le mot “Corinthiana” imite le symbole de Coca-Cola (symbole américain par excellence), avec autour de ces mots des taches rouges qui peuvent laisser penser qu’il s’agit de sang qui coule, de toutes ces années de lutte pour la démocratie, afin de rendre hommage aux opposants du régime morts ou incarcérés à cause de la répression.
« Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie »
Ce changement dans la gestion des relations de travail au sein de l’équipe a eu des conséquences immédiates sur le plan sportif. L’équipe a commencé à avoir de bons résultats et les tribunes ont à nouveau commencé à se remplir. Pour reprendre une nouvelle fois les paroles d’Eduardo Galeano : « Tant que dura la démocratie, le Corinthians, gouverné par ses joueurs, offrit le football le plus audacieux et le plus éclatant de tout le pays, il attira les plus grandes foules dans les stades et remporta deux fois de suite le championnat ».
L’équipe a ainsi atteint la demi-finale du championnat local en 1982 et a été sacrée championne du championnat régional de São Paulo (considéré aussi important que le championnat national) la même année en proportionnant un des football les plus beaux et des plus excitants à voir.
En 1983, le club dispute à nouveau la finale du championnat paulista contre São Paulo. Les joueurs se sont alors présentés sur la pelouse du Morumbi avec une banderole « Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie ». Ils gagneront 1-0 grâce à un but de Sócrates. Tout un symbole.
« Nous exercions notre métier avec plus de liberté, de joie et de responsabilité. Nous étions une grande famille, avec les épouses et les enfants des joueurs. Chaque match se disputait dans un climat de fête (…) Sur le terrain, on luttait pour la liberté, pour changer le pays. Le climat qui s’est créé nous a donné plus de confiance pour exprimer notre art », déclarait alors Sócrates.
Ces victoires et le beau football pratiqué ont alors permis de fédérer autour du Corinthians, et cela a également été valorisé par le fait que Sócrates a été choisi pour être capitaine de la sélection nationale lors de la Coupe du Monde 1982, équipe considérée encore aujourd’hui comme la plus belle équipe que la seleção ait connue dans son histoire.
Chaque fois qu’il marquait un but, il le célébrait en levant le poing fermé, en saluant les supporters, ses camarades, comme ce salut que l’on fait lorsque l’on reconnaît un camarade, c’était le salut de la classe ouvrière internationale. Ce poing levé rappelait également le geste des Black Panthers, un véritable symbole de contestation. Le « doctor » comme on le surnomme dira d’ailleurs que ses « victoires politiques sont plus importantes que ses victoires en tant que joueur professionnel« .
En dehors des stades, les mobilisations de masses ont commencé à occuper plus fréquemment les rues du Brésil pour remettre en cause le gouvernement. Les répressions des militaires et de la police ont commencé à être plus violentes.
Des joueurs comme Sócrates, Wladimir et Casagrande ont compris que les victoires au sein du club étaient encore trop modestes et ont commencé à entrer dans la politique du pays. La Démocratie Corinthiane a alors pris de plus en plus d’ampleur dans le pays, soutenu notamment par de nombreux intellectuels brésiliens.
Dans le même temps, sentant le vent tourner, la dictature a décidé d’organiser les premières élections directes des gouverneurs des Etats. Le club a alors décidé de changer le logo de la Democracia Corinthiana à l’arrière des maillots et à la place ils ont mis : « Dia 15 vote » (le 15, allez voter) en référence à ces élections de novembre, afin d’inciter les gens à aller voter, avec l’idée que plus il y aurait de personnes dans les urnes, plus il y aurait de votes pour l’opposition du gouvernement.
Ce slogan est arrivé aux oreilles de la commission de censure du gouvernement militaire qui a alors dit « ne mélangez pas le football et la politique, parce que sinon vous aurez de gros problèmes« . C’est ainsi que Solange Maria Teixeira Hernández, responsable de la censure fédérale, a interdit l’utilisation de ce maillot.
L’essoufflement du mouvement
Le mouvement a ainsi conduit le Corinthians au titre de champion Paulista en 1982 et 1983, sans oublier qu’il a aidé à combler les dettes club. Mais en 1984, le club des 13 commençait à être mis en place, et l’absence de rôle du président était considéré comme une cause empêchant le club de disputer des tournois officiels. De plus, des nouveaux modèles de gestion, calqués sur les modèles européens commençaient à faire leur apparition au sein des club brésiliens, contribuant à la chute de la Démocratie Corinthiane.
Ainsi, paradoxalement, le mouvement de la Démocratie Corinthiane a commencé à s’essouffler alors que sur le terrain de la politique nationale, le régime dictatorial perdait de son importance et la bataille était en passe d’être gagnée.
En 1984, Sócrates réclama des élections présidentielles libres et directes, afin que le peuple puisse voter directement pour le président, mais ce furent des élections au scrutin indirect qui ont eu lieu. Cela provoqua la colère du « docteur » qui décida alors de rejoindre la Fiorentina, regrettant notamment que l’expérience ne se soit pas étendue aux autres équipes.
L’élection quelques mois plus tard de Tancredo Neves viendra mettre un terme à la dictature militaire, qui aura ainsi sévi pendant 21 ans. Du côté du club, c’est l’effet inverse qui s’est produit, avec des vieux dirigeants qui ont repris la tête lors des élections d’avril 1985 et qui ont décidé écarter les contestataires.
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[…] En 1979, il a remporté son premier grand titre, le championnat paulista, après avoir réalisé un très bon match en finale contre Ponte Preta, lors duquel il a marqué l’un des buts de la victoire 2-0. Cette saison-là, Sócrates a été convoqué pour la première fois en équipe nationale brésilienne, contre le Paraguay, au Maracanã. Magicien balle au pied et brillant sur et en dehors du terrain, Sócrates commence à devenir une idole au Corinthians et à attirer l’attention dans tout le pays. En 1980, il a remporté la Bola de Prata, un titre décerné par la revue Placar et était régulièrement convoqué par le sélectionneur Telê Santana. Son billet pour la Coupe du monde était garanti. Mais, avant cela, une révolution allait traverser la carrière du joueur : la Democracia Corintiana. […]
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