Alors que les Brésiliens s’apprêtent à élire leur Président de la République, dans une ambiance tendue, avec une population divisée en deux, entre les pro-Bolsonaro, et ceux qui sont contre, cela n’a pas épargné le football. Contrairement à d’habitude, de nombreux joueurs ont ainsi fait part de leur soutien, notamment au candidat d’extrême-droite. Mais comment en est-on arrivé là ?
« Ça me révolte quand je vois des joueurs et des ex-joueurs de droite. On vient d’en-bas »
Connu en France pour son passage à Lyon et sa faculté d’inscrire des coups francs de toutes les positions sur le terrain, Juninho Pernambucano est aujourd’hui un des rares ex-joueurs ayant une conscience critique des problèmes dont souffre le Brésil.
Lors d’une longue interview accordée au journaliste Breiller Pires, de l’édition brésilienne du quotidien El País, Juninho est revenu sur la situation politique du pays, à l’heure où un candidat d’extrême-droite, connu pour être homophobe, misogyne et raciste est favori pour remporter les élections présidentielles.
La presse en faveur de Bolsonaro ?
« Notre démocratie est très jeune, mais l’essentiel serait de comprendre que tous les votes ont le même poids. Noir, blanc, pauvre, riche, aucun vote ne vaut plus qu’un autre. Le problème est que, après tant de temps de gauche au gouvernement, le désespoir de reprendre le pouvoir a aveuglé certaines personnes. Il en a fallu combien pour retirer Dilma de la présidence ? Aécio, Eduardo Cunha, Temer et … la presse ! Ils ont déchiré nos bulletins de vote et nous ont conduit à cette terreur. Ils avaient cas retirer Dilma maintenant, dans les urnes. En aussi mal état que serait le pays, il ne se retrouverait pas dans cette situation, où un extrémiste est favori pour devenir président. Vous pouvez l’écrire ici : les médias traditionnels soutiendront Bolsonaro s’il va au second tour. »
Lors de cette interview, Juninho est également revenu sur les manifestations publiques de certains joueurs ou ex-joueurs en faveur du candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro.
« Beaucoup de Brésiliens ignorent que d’autres ont été torturés et assassinés pendant la dictature. C’est désespérant de voir des gens soutenir l’intervention militaire. L’armée existe pour défendre le pays, pour protéger les frontières, pas pour tuer des Brésiliens dans les favelas. Ils n’ont pas été formés pour ça. Ils disent que je défends les bandits. Mais il faut arrêter de penser que tous les crimes sont égaux. Un assassin est une chose, un mec qui vole en est une autre. Je ne peux pas mettre un jeune de 18 ans qui a volé en prison. Car quand il sort, il veut se venger de la société. C’est pour ça que ça me révolte quand je vois des joueurs et des ex-joueurs de droite. Nous venons d’en bas, nous avons été élevés avec le peuple. Comment peut-on passer de l’autre côté ? Tu vas soutenir Bolsonaro mon frère ? »
Jair Bolsonaro, futur président des footballeurs brésiliens ?
L’ambiance tendue autour des élections présidentielles au Brésil a rendu la politique omniprésente dans les conversations. Et même le football, sport qui assume quasiment le statut de religion au Brésil n’y a pas échappé. Plusieurs joueurs, habituellement peu enclins à exprimer leurs opinions politiques ont montré leur soutien, en particulier pour le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro.
Un des cas les plus médiatiques a été celui du joueur de Palmeiras, Felipe Melo, qui, à la fin d’un match, a profité d’une interview, encore sur la pelouse de l’Arena Fonte, à Salvador pour déclarer son soutien au favori à la présidence en dédiant son but inscrit contre Bahia : « Je dédie ce but à notre futur président, Bolsonaro« .
Quelques semaines auparavant, un autre athlète bien connu en France avait exprimé son soutien au candidat à la présidence : le milieu de terrain de Tottenham, Lucas Moura, qui a ainsi rejoint le groupe de footballeurs qui soutiennent Bolsonaro en compagnie de Felipe Melo, des joueurs du Corinthians Jadson et Roger, de Carlos Alberto, etc.
Des anciennes stars de la selecção, comme Ronaldinho Gaúcho et Rivaldo, se sont également manifestés en faveur de l’ancien militaire. Barcelone a d’ailleurs fait savoir qu’il ne se retrouve pas dans les positions de ses anciens pensionnaires et aurait même réduit les activités de ses ambassadeurs du club.
Par amour pour le Brésil
Le 20 octobre dernier, lors du match contre São Paulo, les joueurs de l’Atlético Paranaense sont entrés sur le terrain avec des tee-shirts comprenant le message « Tous ensemble par amour pour le Brésil », après que le président du club ait déclaré son soutien à Bolsonaro. L’équipe a été sanctionnée d’une amende. Mais pourquoi l’Atlético Paranaense soutient-il Bolsonaro ? La réponse réside dans le groupe Havan, une des sociétés qui soutient le politicien, ainsi que le club.
Mais, à l’instar de ce qu’il se passe dans tout le pays, il y a ceux qui se tiennent de l’autre côté de la barricade. Le joueur de l’Atlético Paranaense, Paulo André, a été le seul à refuser de porter le maillot pour soutenir Bolsonaro. Certains groupes de supporters ont également manifesté leur opposition au candidat du PSL, comme les Gaviões da Fiel (Corinthians), et la Torcida Jovem (Santos).
Un côté positif à retenir de ces manifestations ?
Selon Marcel Tonini, sociologue au Centre interdisciplinaire de recherche sur le football et les modalités linguistiques de l’Université de São Paulo (LUDENS-USP), les footballeurs ne font généralement pas part de leurs opinions politiques, c’est pourquoi on peut retenir des aspects positifs dans cette vague de soutiens publics.
« Les joueurs se mettent toujours en marge de la société, comme si les questions sociales et économiques n’étaient pas des problèmes qui les frappaient directement. En ce sens, tout engagement politique peut être considéré comme positif » a-t-il ainsi déclaré.
Le parallèle avec la Démocratie Corinthiane lors des années 1980
La dernière fois qu’autant de joueurs avaient adoptés une position politique, ce fut lors des années 1980, lors d’un mouvement connu comme « La Democracia Corinthiana » et la campagne Diretas Já. Avec en tête, l’idole du Corinthians, Sócrates (1954-2011), l’idée consistait à instaurer un modèle de gestion démocratique au sein du club, dans lequel tous les employés, des joueurs aux directeurs, en passant par les masseurs et les intendants, avaient le droit de voter, pour toutes les décisions internes.
En pleine période de dictature militaire, les joueurs sont rentrés sur la pelouse avec des phrases de soutien au mouvement démocratique brésilien, réclamant des élections directes pour élire le président par exemple. Corinthians est l’équipe que soutient Lula da Silva (qui a été arrêtée en avril alors que le championnat de l’état de São Paulo touchait à sa fin), ce qui a conduit les joueurs à rendre hommage à l’ancien président lors de la finale.
On peut noter une certaine ironie en regardant de plus près ces deux moments de politisation du football. Tonini a ainsi déclaré : « J’imagine que ça doit être douloureux pour les Corinthianos de l’époque et c’est ironique de constater qu’il y a eu ce renversement de situation en 30 ans« . Puis il a ajouté une différence importante entre les deux générations : « A aucun moment les joueurs du Corinthians n’avaient demandé de voter pour tel parti ou tel politicien en particulier« .
D’après le journaliste Ecossais Andrew Downie, qui a écrit une biographie sur Sócrates, cette vague actuelle de manifestations pro-Bolsonaro ne peuvent en rien être comparées aux actions politiques des joueurs du Corinthians, il y a 30 ans de cela. « Ces gars-là sont l’opposé de Sócrates. Ils gagnent beaucoup plus et se soucient moins de l’endroit d’où ils viennent. Sócrates était imprévisible et je ne peux pas parler pour lui, mais je pense qu’il serait choqué d’entendre des joueurs du Corinthians ou de n’importe autre grande équipe, comme Palmeiras ou Tottenham, parler en faveur de Bolsonaro, de l’autoritarisme « , a déclaré le journaliste au quotidien Folha.
De la lutte contre la dictature à la lutte contre la corruption
Aníbal Chaim, auteur du livre A Bola e o Chumbo (2014) déclare que les deux moments représentent un sentiment de mécontentement populaire. « Si le discours qui a réussi dans les années 1980 était celui qui s’opposait au régime militaire et à l’autoritarisme, aujourd’hui, le discours qui marche est celui qui s’oppose à la corruption et au lulopetismo (les gouvernements de Lula da Silva) ».
La candidature de Bolsonaro, en particulier, présente des aspects ayant une forte résonance dans l’univers des footballeurs. Tonini note l’existence d’un « conservatisme » dans le football brésilien. « Les [dirigeants] en carton ne permettent pas aux joueurs de prendre des décisions, les décisions sont toujours de haut en bas. C’est une structure raciste et de classe, qui existe dans le football, une reproduction très aggravée de ce qui existe dans la société brésilienne « , explique ainsi le sociologue.
Sécurité et religion
Le discours sécuritaire de Bolsonaro, pour qui « un bon bandit est un bandit mort », ou encore que s’il faut mettre tout le monde en prison, il n’hésitera pas à en construire des nouvelles, trouve écho parmi des joueurs souvent issu des favelas, qui ont connu la violence, et qui après avoir vécu plusieurs années loin du Brésil, en Europe où le sentiment de sécurité est plus important, ont du mal à revenir à une réalité bien différente.
L’aspect religieux prôné par Bolsonaro résonne bien dans les oreilles de nombreux joueurs, souvent évangélistes pour qui cela est très important. Marcel Diego Tonini a ainsi observé : « Les joueurs y attachent beaucoup d’importance, ils s’identifient à ce genre de discours. Bolsonaro a aussi un programme machiste qui rencontre un franc succès dans un milieu très “viriliste”, où sa violence verbale est aussi très bien vue. »
Quelques joueurs qui se sont positionnés en faveur de Jair Bolsonaro
- Jadson (Tianjin Quanjian) : si la plupart des soutiens sont récent, l’ex joueur du Corinthians, actuellement en Chine affichait déjà ses opinions en 2017 et avait ainsi déclaré lors d’une interview accordée à UOL : « J’ai déjà vu des interviews de lui sur YouTube, ça m’a l’air d’être un gars correct. S’il se présente à la présidentielle, je voterai pour lui ».
- Felipe Melo (Palmeiras) : comme nous l’avons évoqué plus haut dans l’article, le joueur de Palmeiras a dédié un but inscrit face à Bahia à « notre futur président Bolsonaro« .
- Carlos Alberto (CA Paranaense) : le champion d’Europe avec le FC Porto en 2004 a déclaré, « Ce qui m’a séduit, c’est qu’on parle d’un candidat propre » puis a ajouté : « Bolsonaro n’est à la solde de personne, il est le seul à pouvoir faire bouger les choses. Il ne va pas tout résoudre d’un claquement de doigts et a des faiblesses sur certains sujets, mais il sera appuyé par des spécialistes comme le grand économiste Paulo Guedes. Il est le seul capable de se battre contre le système en place. »
- Ronaldinho : « Pour un Brésil meilleur, je désire la paix, la sécurité et quelqu’un qui nous redonne de la joie. J’ai choisi de vivre au Brésil et je veux un Brésil meilleur pour tous » a ainsi déclaré l’ancien international brésilien sur son compte instagram.
- Rivaldo : L’ex international brésilien et star de Barcelone a évoqué sa « joie de savoir que le Brésil se réveille et de constater que Jair Bolsonaro est le candidat idéal pour notre pays ».
- Lucas Moura (Tottenham) : l’ex joueur du PSG n’hésite pas à prendre position sur les réseaux sociaux et à répondre à ceux qui le critiquent. Il leur a ainsi répondu : « Vous voulez faire quoi face aux bandits ? Il [Bolsonaro] ne promeut pas la violence, il promeut la justice et que les malfrats aient peur de la police.«
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Un sens inné de l’écriture agrémenté d’une connaissance et une maîtrise du sujet sans faille. Chapeau monsieur, vraiment, vous avez un talent fou, j’espère vous lire un jour dans un journal qui devra alors mériter la personne talentueuse que vous êtes. Bravo
[…] Pourquoi des joueurs s’engagent-ils autant en faveur de Bolsonaro ? […]
[…] Le président Jair Bolsonaro, grand supporter du club, a assisté à la rencontre et participé à la remise des médailles et a soulevé la coupe aux côtés du capitaine Bruno Henrique. Dans les tribunes, les réactions étaient mitigées entre ceux qui soutiennent le président et ceux qui le critiquent, qui en ont profité pour le siffler. […]
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