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La véritable origine de Quiricocho : le nom qui « porte la poisse »

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La véritable origine de Quiricocho : le nom qui « porte la poisse »

Quiricocho -ou Kiricocho, personne ne sait vraiment comment l’écrire- a de nouveau fait parler de lui au-delà des frontières la semaine dernière lorsque le président de la Conmebol, Alejandro Domínguez, a raconté des anecdotes du Mondial avec son homologue de l’AFA, Claudio Chiqui Tapia. « Nous étions au premier match au Qatar, assis côte à côte, et en 27 ans je n’avais jamais entendu ce nom, mais à chaque attaque contre l’Argentine, ‘Kiricocho, Kiricocho, Kiricocho’. D’abord, j’ai pensé que Chiqui appelait quelqu’un, mais ensuite j’ai supposé que cela avait quelque chose à voir avec le mauvais œil contre l’équipe qui attaquait, mais Kiricocho n’est pas venu contre l’Arabie Saoudite. Au deuxième match, quand (Tapia) est arrivé au stade, je lui dis: ‘Kiricocho, s’il te plaît, viens aujourd’hui car nous allons avoir besoin de toi‘ », a révélé Domínguez, lors de la présentation du projet sud-américain pour la Coupe du Monde 2030.

Au final, Kiricocho l’a encore fait : à sa manière, il a aidé l’Argentine a remporter sa troisième étoile lors du Mondial Qatari 2022. Le mystérieux ambassadeur argentin de la superstition, mentionné par les joueurs sur les terrains de football, par les entraîneurs sur les bancs de touche, par les supporters dans les tribunes et par les dirigeants dans les loges, n’a plus de rien à gagner ni de tournois auxquels participer : il avait également été invoqué par des joueurs espagnols lors de la finale de la Coupe du Monde 2010, par des Italiens en finale de l’Euro 2021 et par des Mexicains lors de la finale des Jeux olympiques de 2012. Sa légende est également arrivée en Ligue des champions et notamment en Liga espagnole, où mentionner Kiricocho est aussi courant que donner le coup d’envoi après chaque but.

Que signifie Quiricocho ?

Originaire de l’Estudiantes de Carlos Bilardo au début des années 80 et exportée quelques années plus tard par les coutumes et les usages des joueurs argentins dispersés dans le monde, Quiricocho est une expression utilisée pour souhaiter la malchance à l’adversaire : elle immunise contre la poisse et provoque le malheur des autres. Mais on ne sait généralement pas grand-chose de Quiricocho, presque rien en fait. Il n’y a pas non plus de références dans le fantastique dictionnaire du football argentin que le journal Olé a publié à la fin des années 90 : de « Quipildor, Carlos, attaquant de Atlanta et Banfield en 1974 et 1975 », on passe à « Quirincich, Jorge, défenseur de Central Norte de Salta dans les Championnats Nationaux de 1976 et 77 ». Le chercher avec un « k » est également peine perdue : après « Kimberley, club de Mar del Plata qui a joué six Championnats Nationaux de Première division », vient « Kiska, Arturo, milieu de terrain de Quilmes en 1976 ».

Ce que l’on sait, c’est que le terme Kiricocho vient de l’époque de l’Estudiantes de Bilardo. Cependant, il est difficile de retracer son histoire personnelle car le technicien champion du monde au Mexique en 1986 n’en a parlé qu’une seule fois. Les superstitions s’accomplissent, elles ne se racontent pas : « Quiricocho était un garçon de La Plata qui était toujours avec nous, et comme cette année-là nous sommes devenus champions (en référence à 1982), nous l’avons adopté comme amulette. C’était un bon garçon, mais après je ne l’ai plus jamais revu. La dernière fois que j’ai entraîné Estudiantes (2003-04), j’ai demandé de ses nouvelles et personne ne savait rien. Mais même si tu ne le crois pas, quand je suis allé en Espagne pour entraîner Séville (entre 1992 et 1993), il y a eu un penalty pour les adversaires et j’ai entendu quelqu’un derrière moi crier : ‘Quiricocho, Quiricocho’. Je n’en croyais pas mes oreilles, jusqu’à ce que El Cholo (Diego Simeone) et Diego (Maradona) me disent qu’ils l’avaient dit quelques fois et que les autres l’avaient appris« .

L’histoire de Juan Carlos Revagliatti, alias Quiricocho

Pour trouver des pistes sur l’homme qui a inspiré des milliers de cris cabalistiques, il faut se rendre du côté de El Mondongo, quartier de La Plata d’où vient également René Favaloro. Comme le célèbre chirurgien cardiaque, qui était supporter de Gimnasia, El Mondongo est un quartier de La Plata plutôt lié à la partie bleue et blanche de la ville. En effet, son nom est lié au surnom d’origine de Gimnasia, le « Tripero », également issu des abattoirs de Berisso, dont les travailleurs revenaient au quartier avec des mondongos (en français : des tripes), des abats et d’autres types de viande. Juan Carlos Revagliatti, le vrai nom de Quiricocho, était pour sa part un supporter d’Estudiantes par héritage de son père, surnommé Titi, « pincharrata » de naissance.

Quiricocho n’a pas eu une vie facile. Selon ceux qui l’ont connu, c’était un homme solitaire, qui n’avait ni partenaire ni enfants, avec une légère déficience cognitive, une condition qui en faisait de lui l’un de ces « alliés » que le football adopte souvent avec une réelle affection – et peut-être une certaine raillerie subtile, mais en fin de compte en lui attribuant une place d’appartenance. Il est né en 1949 et a vécu dès son enfance à quelques mètres de l’église San Pablo. Il a fréquenté la même école que Favaloro, qui porte aujourd’hui le nom du fils prodigue d’El Mondongo, où il a redoublé plusieurs fois jusqu’à ce qu’il termine enfin l’école primaire dans un établissement nocturne.

Déjà enfant, il était apprécié de tous et, conformément à la coutume d’une époque où les garçons se désignaient plus par leurs surnoms que par leurs noms, il avait également plusieurs pseudonymes. Si certains voisins se souviennent aujourd’hui encore qu’il s’appelait Carlos ou Carlos Rodolfo – même si son vrai nom était Juan Carlos -, et qu’ils ne sont même pas d’accord sur l’orthographe de son nom de famille – Revagliatti ou Rebagliatti -, ce qui est certain, c’est qu’ils l’appelaient « Carlitos », « Monito » et « Titi », mais que ses deux surnoms les plus courants étaient « Quiricocho » et son diminutif, « Quiri », dont les origines ou les significations ne sont cependant pas claires. La plupart de ses amis d’enfance, qui pourraient expliquer ce que signifiait le surnom qui deviendrait avec le temps synonyme de malchance dans le football, sont déjà morts.

Bookmaker de père en fils

Quiri, Quiricocho, Carlitos, Monito ou Titi avait l’habitude de fréquenter les clubs de quartier (souvent le Club Social, Cultural y Deportivo Instituto, parfois l’América) et les bars de la zone, également appelés « boliches », où se déroulait une grande partie de la vie sociale après le travail. Son préféré était le Sordo Varela, un lieu camouflé à l’intérieur duquel on diffusait les résultats des courses de chevaux et de « quiniela ». Précisément, les paris – pas les officiels mais les clandestins, les illégaux, bien que tout le quartier et la police soient au courant – ont donné lieu à sa relation avec le football et à l’insolite popularisation de son surnom.

Comme cela se produisait dans le reste du pays, lorsque quelqu’un avait un bon pressentiment – par exemple, si une célébrité décédait et qu’ils voulaient parier sur le 48, « le mort qui parle » dans la signification des chiffres de la loterie-, à El Mondongo, il y avait trois ou quatre personnes de confiance qui offraient un prix plus élevé que les gros lots des loteries nationales ou provinciales. Le père de Juan Carlos, Titi Revagliatti – d’où le surnom de Titi pour Quiricocho – était l’un des « capitalistes » les plus connus, comme on appelait ceux qui prenaient ces paris en dehors des agences officielles et les garantissaient avec leur propre argent. S’ils devinaient les numéros exacts, ils payaient 17 fois la mise. Son fils, Quiricocho, l’aidait à faire ce qu’on appelait alors « passer la quiniela » ou « prendre les numéros ». Autrement dit, Quiri rendait visite à ses clients, prenait leurs paris et les apportait à son père.

C’était illégal mais en pratique, la police laissait faire, sauf lors de quelques désaccords temporaires. Pendant l’un de ces intervalles, Quiricocho a été interpellé dans la rue et envoyé au poste de police de La Plata pour un week-end, mais il n’a jamais remis la preuve du délit : pendant les plus de 48 heures qu’il a passées en détention, il a caché le rouleau de papier avec les annotations du jeu dans son orifice anal. La police l’a fouillé mais n’a rien trouvé et a dû le relâcher : Quiricocho était comme ça. « Je l’ai gravé dans ma tête, maigre, un grand nez, des cheveux châtains tirant sur le blond, légèrement courbé, marchant rapidement, agitant les bras. Il marchait comme s’il se cachait, probablement parce qu’il était en faute« , se rappelle Alfredo, un voisin de cette époque.

Quiricocho était également footballeur et, dans sa jeunesse, il jouait avec ses amis, pour la plupart originaires de Gimnasia, sur les terrains de fortune du Bosque de la ville. Dans les années 1960, il était voisin de Bilardo et de Raúl Madero – tous deux médecins, joueurs de l’Estudiantes vainqueur de la Coupe intercontinentale de 1968 et plus tard membres du staff technique – qui avaient également vécu à El Mondongo. Mais son entrée dans le football professionnel date du début des années 1980, lorsque l’Estudiantes de Bilardo a commencé à s’entraîner occasionnellement, surtout les jours de pluie, au « Líder », un potrero du Bosque. En tant que supporter du Pincha, Quiricocho avait l’habitude d’y aller. Et tout comme il avait déjà ses clients éparpillés dans différents endroits du quartier et de la ville, un jour il a aussi commencé à prendre des paris au sein de l’équipe d’Estudiantes de 1982.

Une réputation de « mufa »

Mythe ou réalité, coïncidence ou plaisanterie, on a commencé à dire au club que, si on parie sur un numéro avec Quiricocho comme releveur, ce numéro ne sortirait pas. Puis cette rumeur a commencé à prendre de l’ampleur. Il est facile d’imaginer des phrases comme « Avec toi, on ne gagnera jamais« , l’une des façons dont l’équipe a fini par intégrer un jeune homme attachant, qui venait de passer le cap des 30 ans. Ainsi, Juan Carlos Revagliatti, bien que personne ne l’appelle par son prénom ou par son nom, a gagné une réputation de « mufa » (poissard). Ou « fierro », comme on disait à l’époque. Si quelqu’un devait tirer un penalty à l’entraînement, de loin on entendait crier « Quiricocho ! De même pour un coup franc ou un face-à-face. Jusqu’à ce que ce qui était une blague interne à l’équipe franchisse un jour cette barrière et que Bilardo et les joueurs la transforme en une arme orale sur les terrains de football : Quiricocho est entré dans la liste des cabales des entraîneurs superstitieux.

Une « mufa » que le superstitieux Bilardo a fait jouer en sa faveur

Sa présence à l’entraînement est devenue quotidienne, et non plus seulement en tant que bookmaker. L’entraîneur a assigné à Quiricocho deux rôles lors de chacun des matchs à domicile d’Estudiantes. Tout d’abord, il attendait l’arrivée des équipes adverses pour se faire passer pour un supporter et donner une tape d’encouragement à chaque joueur. Puis, il se rendait ensuite dans les tribunes des visiteurs pour transmettre son énergie supposée négative pendant les matchs. De temps en temps seulement, il avait du travail supplémentaire la semaine précédente et se rendait aux entraînements de l’adversaire pour commencer à répandre sa malchance.

Cette équipe d’Estudiantes était une grande équipe et a remporté le Metropolitano 1982 et le Nacional 1983, même si dans ce dernier tournoi l’entraîneur était déjà Eduardo Luján Manera (Bilardo venait de prendre en charge la sélection argentine après son récent succès). Entre les deux campagnes, ils n’ont perdu que deux matchs à La Plata, 1-2 contre Boca dans le Metro 1982 et 0-1 contre Vélez dans le Nacional 1983. Pour les plus superstitieux, Estudiantes doit donc deux titres à Quiricocho, qui était d’abord une personne puis est devenu un rite et un cri, que ce soit à Estudiantes, au sein de l’équipe nationale de Bilardo et finalement en Europe (et dans le reste du monde).

Quirocho, un terme repris à travers le monde

L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Au début des années 1990, Maradona et Simeone, qui ont joué six matchs avec l’équipe nationale de Bilardo entre 1988 et 1990, ont apporté l’expression du « Narigón » à Séville. Quiricocho, qui avait alors disparu de la scène footballistique, a commencé à se faire un nom en Espagne. Il était déjà une célébrité sur les terrains argentins : les joueurs et les entraîneurs de n’importe quelle équipe criaient Quiricocho pour porter la poisse à leurs adversaires chaque fois qu’ils avaient une chance très concrète de marquer, surtout un penalty. Les supporters, toujours prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes, qu’ils soient irrationnels ou non, n’ont pas tardé à faire de même.

L’ex-gardien de but Rubén Cousillas, entraîneur adjoint de Manuel Pellegrini à Villarreal puis au Real Madrid, a également joué un rôle déterminant dans sa mondialisation, en criant ce nom étrange depuis le banc des remplaçants à chaque attaque adverse. Parmi les joueurs que le duo sud-américain a dirigé dans ce sous-marin jaune entre 2007 et 2009, il y avait le latéral Joan Capdevila, qui, lors du Mondial sud-africain de 2010, a fait appel à lui lors de la finale lorsque l’attaquant néerlandais Arjen Robben s’est retrouvé seul devant Iker Casillas. « En désespoir de cause, j’ai eu l’idée de crier « Quiricocho ». Cousillas n’arrêtait pas de dire ce mot et nous lui avons demandé ce que cela voulait dire. Il nous a dit ‘malchance pour l’adversaire’ et ça a marché pour moi« , a admis Capdevila.

Quiricocho a également été champion olympique : les joueurs mexicains ont raconté comment ils ont invoqué son nom lors de la finale contre le Brésil à Londres en 2012. Lors de la séance de tirs au but de la Coupe du monde 2014 contre les Pays-Bas, Enzo Pérez a admis avoir crié quelques kiricochos lorsque les Néerlandais ont tiré le penalty. Après avoir été vainqueur de la Coupe du monde 2018 en Russie, dans une vidéo d’un entraînement de l’équipe de France qu’Antoine Griezmann a mise en ligne sur ses réseaux sociaux, on peut entendre l’un de ses coéquipiers lui crier quiricocho pour lui porter la poisse alors qu’il s’apprêtait à tirer.

En février 2021, dans un reportage intitulé « La leyenda de Quiricocho« , l’émission « El día después » a démontré que l’amulette originale de Bilardo est toujours utilisée dans le championnat espagnol. L’absence du public en raison de la pandémie a fait que l’on a pu entendre les gardiens de but et les joueurs adverses hurler « quiricocho » quelques secondes avant que Lionel Messi et Luis Suárez ne tirent des penalties respectivement pour le FC Barcelone et l’Atlético de Madrid. Le Norvégien Erling Haaland, alors au Borussia Dortmund, a également crié « Quiricocho » en mars 2021 pour répondre au mot mystérieux crié par Bono, le gardien de but marocain de Séville et supporter de River, pour tenter de sauver un penalty en Ligue des champions. Et quelques mois plus tard, lors de la finale de l’Euro 2021, l’Italien Giorgio Chiellini a également dit « Kiricocho » avant que Gianluigi Donnarumma n’arrête un penalty de l’Anglais Bukayo Saka à Wembley.

Ce qui est curieux, c’est qu’à ce moment-là, bien qu’en vérité depuis son passage à Estudiantes au début des années 80, on n’a plus jamais revu Quiricocho dans le monde du football. La tragédie a frappé sa famille avec la mort de son père, que plus d’une rumeur dans le quartier décrit comme un meurtre, prétendument pour une dette impayée. La nouvelle a même fait la première page des journaux locaux. Sa mère est également décédée et Quiricocho a continué, seul, à exercer son travail de bookmaker. Mais la dépression a commencé à le gagner chaque jour un peu plus. Peu avant la pandémie, en 2019, alors qu’il était âgé de 70 ans et qu’il n’avait pas répondu aux appels des quelques amis auxquels il parlait encore, il a été retrouvé sans vie à l’intérieur de sa maison, à l’endroit même où son père était mort. Il n’avait aucun lien avec le football depuis plusieurs décennies, un environnement dans lequel des millions de personnes l’ont mentionné sans savoir qui il était. Aujourd’hui encore, son nom continue à résonner dans les stades du monde entier, et nulle doute qu’il sera gravé à jamais.

Source : TyC Sports

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