C’est la plus grande barra d’Argentine avec La Doce, et probablement celle qui a connu le conflit interne le plus sanglant de ce siècle, qui a abouti à l’assassinat de Gonzalo Acro. Mais c’est aussi la barra qui a dominé une Coupe du monde, en 2006 en Allemagne, celle qui a généré la terreur aussi bien en Argentine qu’à l’étranger au cours des 20 dernières années, celle qui a été plongée dans de gigantesques activités criminelles et la seule du pays qui a été encadrée ces dernières années, au point de ne même pas pouvoir déployer ses drapeaux dans son habitat naturel, le stade Monumental. C’est la barra brava de River, connue sous le nom de Los Borrachos del Tablón. Une barra qui sévit dans le football depuis les années 70 et dont beaucoup ignorent l’origine, que l’on va raconter dans cet article.
La naissance de Los Borrachos del Tablón
La barra de River trouve son origine en 1968. Loin des quartiers qui ont ensuite occupé les tribunes (Palermo, Zona Norte, Budge, Constitución, etc.), le premier noyau géographique de ceux qui allaient régner sur la popular se trouvait à Abasto et Once, dans la zone que l’on peut aujourd’hui délimiter dans les environs de l’emplacement de deux centres commerciaux : Le Shopping Spinetto avec sa place Primero de Mayo, délimité par les rues Pichincha, Pasco, Alsina et Hipólito Yrigoyen, et le secteur de l’Abasto qui s’étend de Ecuador à Sánchez de Bustamante, plus le tronçon entre Rivadavia et Córdoba.
El Loco Mingo, le premier capo barra
Celui qui s’est érigé comme le premier leader est Loco Mingo. De fait, on se souvient de son baptême du feu en tant que « capo barra » cette même année lors du triangulaire final pour définir le champion face à Vélez et Racing. Tout se jouait au Nuevo Gasómetro. River avait battu Racing deux à zéro lors du premier match et devait affronter le Fortín le 22 décembre. S’ils gagnaient, ils seraient champions. Mais le match s’est terminé sur un résultat nul de un but partout, dans un match au cours duquel l’arbitre Guillermo Nimo n’a pas accordé un penalty flagrant en faveur du Millonario. À la fin du match, il y eut une bataille entre les barras et la légende raconte qu’à un moment donné, Mingo, qui avait mené l’attaque, s’est retrouvé encerclé par un grand nombre de supporters de Vélez et a tenu bon jusqu’à ce qu’on vienne le secourir. Bien qu’il se soit sacrément fait amocher, il conservât son titre de « jefe » (la semaine suivante, Vélez battrait le Racing et remporterait le titre). A ses côtés se trouvaient d’autres hommes importants dans l’histoire de la barra originale : Negro Clay, Sandrini, Mandarina et Tripa. On peut dire qu’à eux cinq, ils ont fondé Los Borrachos del Tablón.
La Banda de Palermo
Mais à une exception près : la barra de River ne s’appelait pas encore ainsi. Le nom qui allait marquer son histoire est né quelque temps plus tard et de la main d’un autre groupe, celui qui allait marquer de son empreinte les tribunes du Millonario : Palermo. Car c’est autour de ce quartier, autour de la place Campaña del Desierto, aujourd’hui rebaptisée place Armenia (délimitée par les rues Malabia, Armenia, Costa Rica et Nicaragua), que s’est formée la faction la plus puissante pendant des décennies. Loin du glamour actuel, ce quartier connu sous le nom de Palermo Viejo était une terre d’ouvriers et de voyous. C’était aussi un quartier d’ateliers de mécanique. Et un personnage s’y distinguait : Alberto Ramos, alias Sandro, décédé en 2018, qui, de chef d’un groupe de 20 jeunes hommes, s’est emparé de tout le quartier pour finir avec une armée de plus de 80 « piernas », comme ils se faisaient appeler à l’époque, et qui a fini par être celui qui a fourni le plus grand nombre de membres à la barra brava.
Le premier conflit interne de la barra de River
L’affrontement du début des années 70 semblait donc inévitable. Et au lieu de négocier avec ce groupe naissant et puissant, El Loco Mingo a voulu lui appliquer la loi du plus fort. Le club lui donnait 200 billets et il n’en distribuait que 50, laissant beaucoup de personnes de Palermo à la porte. De plus, comme s’il était le parrain, si quelqu’un avait besoin d’un billet supplémentaire, il devait aller le lui demander personnellement.
Son idée était que les billets gratuits auxquels Sandro avait droit ne devait jamais plus être plus élevé que ceux réservés au groupe d’Abasto. C’est ainsi qu’est né le premier conflit interne de l’histoire de la barra de River, et sans doute le premier conflit interne d’une tribune dans le football argentin.
Puis un jour, la guerre a éclaté. C’était en 1975. Des anciens barras affirment que tout s’est passé en mars de cette année-là, lors d’un match contre Banfield sur le terrain du Racing (dans le cadre de la septième journée du tournoi Metropolitano, qui s’est soldée par une victoire 2-1 de River, avec des buts de Carlos Morete et de Norberto Alonso). D’autres disent que le jour clé date du mois de juillet de la même année, contre Temperley, également sur la pelouse du Racing (le 30/7/75 pour la 31e journée, un match qui s’est terminé sur un résultat nul de 1-1 avec un but de Pedro González). Ce qui est certain, c’est que l’histoire, qu’elle se déroule en mars ou en juillet, coïncide sur un point essentiel : lors du match précédent, il y a eu une dispute au sujet de la distribution des billets et Sandro a donné l’ordre de ce qui avait été convenu précédemment sur la Plaza del Desierto : « dès qu’on est prêt, on fout le bordel ». En moins de dix minutes, Palermo a pris la tribune à Abasto. Et à partir de là, ils ont dominé la barra. Mais ce n’est pas à ce moment-là non plus qu’est apparu le nom qui les caractérise.
La dénomination de Los Borrachos del Tablón
Pour cela, il faut encore attendre deux ans. Entre 75 et 77, Sandro a été le roi de la tribune millonaria. Mais le 24 juillet de cette année-là, lors de la 17e journée du tournoi Metropolitano, à la fin du clásico contre Independiente à Avellaneda, qui s’est soldé par une victoire de l’équipe locale deux à un, au milieu d’une bagarre avec les supporters du Rojo, la police est intervenue et l’a arrêté. Sandro avait une arme sur lui et non seulement un procès a été ouvert contre lui, mais il a été détenu au secret pendant cinq jours. C’était l’époque d’une dictature féroce et Alberto Ramos en particulier et le groupe de Palermo en général étaient dans le collimateur de la justice. À sa sortie, Sandro savait qu’il ne pouvait plus rester exposé en étant à la tête du groupe. Un soir, il a donc réuni toute sa faction sur la place qui s’appelait encore à l’époque Plaza Conquista del Desierto. C’est là qu’il a annoncé qu’il partait et que le nouveau chef était Rubén Cóppola (décédé le 11 novembre 2020 dans un accident de voiture). Le célèbre Matute. Cette même nuit, il a décidé que la barra de River devait avoir un nom. Voyant ce qui se passait autour de lui, avec les bouteilles d’alcool vides après toute une soirée passée à boire, il lui donna le surnom qui identifie encore aujourd’hui la barra : Los Borrachos del Tablón.
Source : TyC Sports
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