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Sócrates : le docteur du football

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Un joueur de football peut-il être médecin ? Peut-il être politisé ? Oui, si ce joueur est Sócrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira, ou simplement Sócrates. Le milieu de terrain a ébloui le monde du football avec ses passes précises, ses fameuses talonnades et une élégance jamais vue depuis l’époque de Didi. Sa présence, son style et son leadership étaient d’une magnitude énorme tant au Brésil que sur la planète football. Impliqué dans le mouvement des Diretas Já dans les années 1980, leader de la fameuse Democracia Corintiana – où les joueurs étaient libres et pouvaient intervenir dans les affaires administratives quotidiennes du club – et capitaine de l’équipe brésilienne qui a enchanté le monde lors de la Coupe du monde 1982, Sócrates était unique, une véritable idole, et restera éternel. On revient sur la carrière du docteur du football.

Sócrates : le footballeur qui a lutté pour la démocratie

Un nom inspiré de la philosophie

Docteur Socrates
Docteur Socrates

Grand amateur de littérature, c’est son père qui a choisi le nom du philosophe grec pour baptiser son fils. Deux des cinq frères de Sócrates ont également reçu des noms « différenciés » : Sóstenes et Sófocles. Raimundo Filho, Raimar et Raí (bien connu notamment des supporters parisiens) ont quant à eux reçu des prénoms plus nationaux. Ce prénom « intellectuel » a peut-être contribué à ce que Sócrates entre à la faculté de médecine de Ribeirão Preto, à l’âge de 17 ans, ville où la famille a déménagé lorsque le père de la future star a été muté en raison de son emploi de fonctionnaire. Malgré son rêve de devenir médecin, qui s’est réalisé en 1977, Sócrates a toujours suivi une « profession parallèle » : celle de footballeur. Il aime le football depuis son plus jeune âge et a commencé à jouer pour l’équipe de jeunes de Botafogo-SP à l’âge de 16 ans.

Sócrates était considéré comme un prodige, car il ne s’entraînait pratiquement pas, à cause des cours à l’université, et malgré cela, il brillait sur le terrain avec style, précision et qualité. En 1977, l’entraîneur de l’époque, Jorge Vieira, arrive à Botafogo et annonce qu' »un joueur qui ne s’entraîne pas, ne joue pas« . Cependant, cette règle ne s’appliquait pas à Sócrates, qui a eu droit à un traitement spécial.

Socrates lorsqu’il évoluait sous les couleurs du Botafogo-SP

Ce traitement de faveur a porté ses fruits, car il a été la principale vedette de l’équipe de Ribeirão Preto lors du championnat paulista 1976 (il a fini meilleur buteur de la compétition avec 15 buts) et lors de la victoire dans la Taça Cidade de São Paulo, le premier tour du championnat paulista 1977, après avoir tenu São Paulo en échec 0-0 au Morumbi. Les performances du joueur dans les championnats paulista et brésilien de cette année-là ont attiré l’attention du Corinthians, qui venait de mettre fin à une période de disette en remportant le titre paulista de 1977. Le Docteur est arrivé au Parque São Jorge en 1978, pour sa première grande opportunité dans un grand club.

Du Corinthians à la Seleção

Avec le Corinthians, Sócrates a gagné en visibilité et a pu faire étalage de tout son talent, d’autant plus qu’il pouvait désormais se consacrer davantage au sport, la star étant déjà médecin. Au Timão, il a retrouvé son ancien coéquipier de Botafogo, Geraldão, et a reconstitué un duo très prolifique en attaque. Outre Geraldao, Sócrates a noué des relations remarquables avec Palhinha et Casagrande, qui deviendra son grand partenaire dans l’équipe paulista.

En 1979, il a remporté son premier grand titre, le championnat paulista, après avoir réalisé un très bon match en finale contre Ponte Preta, lors duquel il a marqué l’un des buts de la victoire 2-0. Cette saison-là, Sócrates a été convoqué pour la première fois en équipe nationale brésilienne, contre le Paraguay, au Maracanã. Magicien balle au pied et brillant sur et en dehors du terrain, Sócrates commence à devenir une idole au Corinthians et à attirer l’attention dans tout le pays. En 1980, il a remporté la Bola de Prata, un titre décerné par la revue Placar et était régulièrement convoqué par le sélectionneur Telê Santana. Son billet pour la Coupe du monde était garanti. Mais, avant cela, une révolution allait traverser la carrière du joueur : la Democracia Corintiana.

La Democracia Corinthiana

1981 a été une année terrible pour le Corinthians de Sócrates. Le club a terminé à la 26e place dans le championnat brésilien et 8e dans le championnat paulista, ce qui a abouti à la « relégation » du club en Taça de Prata 1982 du championnat national. La compétition a toutefois permis aux clubs de remonter en première division la même année, un exemple clair de la désorganisation totale du football brésilien à l’époque. Ces mauvais résultats sont allés de paire avec la fin de la gestion du président folklorique Vicente Matheus, au début de l’année 1982. Waldemar Pires a pris la relève et a apporté un nouvel air à l’équipe. Lui, le sociologue Adílson Monteiro Alves, et des joueurs politisés comme Sócrates et Wladimir ont lancé un nouveau modèle de gestion du club, une sorte d’autogestion. La Democracia Corintiana était née.

Socrates, Casagrande et Wladimir

Le nouveau modèle de gestion du club a mis les employés, les dirigeants et les joueurs sur un pied d’égalité en termes de votes. Tout le monde participait aux décisions du club et chacun avait une voix. Sócrates avait la même voix que l’intendant, Wladimir avait le même pouvoir de vote que le masseur, et ainsi de suite. Tout était démocratique, clair et simple. Les joueurs mariés n’étaient plus obligés de faire partie des mises au vert. Le publicitaire Washington Olivetto a commencé à travailler dans le secteur du marketing du club et a créé le terme « Democracia Corintiana », des artistes tels que Rita Lee et Boni ont fait partie d’un conseil de « notables » au sein du Timão et la marque de la démocratie a commencé à être diffusée dans tout le pays, notamment grâce à Sócrates, qui a participé à plusieurs marches, rassemblements et événements pour diffuser la démocratie en elle-même et le vote en faveur du mouvement des élections directes (Diretas Já). C’était un succès, qui allait également se refléter sur le terrain.

Le premier grand défi pour l’équipe de Sócrates serait le championnat brésilien. Le club est passé par la taça de prata et a réalisé une excellente campagne, atteignant les demi-finales de la compétition. Cependant, le Timão est tombé face au grand Grêmio de Leão, De León, Paulo Isidoro, Tarciso et Baltazar, alors champions du Brésil en 1981. Malgré les défaites, l’équipe a fêté une honorable quatrième place et fait le plein de confiance avant de participer au championnat paulista. Mais avant cela, Sócrates devait faire face au plus grand défi de sa carrière : la Coupe du monde 1982.

Pour en savoir plus : Democracia Corinthiana : quand le foot a défié la dictature

Le capitaine d’une sélection magique

Avec le brassard de capitaine de la seleção dirigée par Telê Santana, Sócrates a fait partie de la magnifique équipe qui a disputé la Coupe du monde 1982 en Espagne. Aux côtés de Zico, Falcão, Júnior, Leandro, Éder et Cerezo, Sócrates avait les coéquipiers et le football nécessaires pour soulever le trophée de champion du monde. Et le football présenté par l’équipe a confirmé les espoirs placés en eux. Cependant, tout a dérapé lors du match fatidique contre l’Italie de Paolo Rossi, qui a battu l’équipe brésilienne 3-2 (Sócrates a marqué un but dans ce match) et brisé le rêve du Tetra. Il a fallu tout recommencer.

Sócrates élu joueur de l’année

Après l’échec en Coupe du monde, Sócrates a relevé la tête et est revenu en force au Corinthians en quête du titre de champion d’État. Le favori pour remporter le tournoi de 1982 était São Paulo, qui comptait des stars comme Waldir Peres, Oscar, Darío Pereyra et Zé Sérgio. L’équipe avait la possibilité de remporter un triplé inédit, après avoir remporté le championnat en 80 et 81, mais elle ne s’attendait pas à rencontrer le Corinthians en finale, sa bête noire.

Le Timão a totalement maîtrisé la finale en remportant le match aller 1-0, grâce à un but de Sócrates, et le match retour 3-1, avec des buts de Biro-Biro (x2) et Casagrande. C’était l’extase et la joie dont l’équipe la plus démocratique du pays avait besoin : le Corinthians était champion, et mettait fin au rêve du triplé de son grand rival. L’équipe a remporté 28 des 40 matchs qu’elle a disputés, et concédé seulement 4 défaites. Elle a marqué 72 buts et en a encaissé que 26. La cerise sur le gâteau, Casagrande a terminé meilleur buteur de la compétition avec 28 buts, et Sócrates a été élu Craque do Ano (joueur de l’année) par la revue Placar. Une fin d’année rêvée pour le club.

La consécration de la Democracia

La finale du championnat paulista entre le Corinthians et São Paulo

Sócrates et le Corinthians ont continué à présenter un bon football en 1983. L’équipe s’est renforcée avec les arrivées du défenseur Juninho et du gardien Leão, qui, malgré ses qualités sur le terrain, n’était pas fan du modèle de gestion du club, ce qui a provoqué un certain malaise interne. Malgré cela, l’équipe avait un effectif de qualité pour tenter de remporter de nouveaux titres. Dans le championnat brésilien, le club n’a pas eu les résultats escomptés et n’a terminé qu’à la 10e place. Le point culminant de la saison a été la goleada 10-1 infligée à Tiradentes-PI, la victoire la plus large de l’histoire de la compétition (Sócrates a marqué quatre buts dans ce match). Malgré la déception dans le tournoi national, le Timão avait encore ses cartes à jouer dans le championnat de São Paulo…

Cette fois encore, le Corinthians a disputé la finale du Paulistão 1983 face à São Paulo, après avoir éliminé Palmeiras en demi-finale. Le Timão s’est imposé 1-0 au match aller, comme l’année précédente, grâce à un but de Sócrates. Un nul au match retour suffisait pour garantir le doublé. Sócrates a ouvert le score pour le Corinthians, mais São Paulo a égalisé à quelques minutes avant la fin. En vain. Le Timão a remporté son deuxième championnat consécutif, pour la première fois depuis la fameuse période de disette. Sócrates a marqué 21 buts dans ce championnat et a été très bon. Avec 24 victoires et seulement 7 défaites en 48 matchs, 68 buts marqués et 39 encaissés, ce titre a été la consécration de la Democracia, qui mêlait audace et courage en dehors du terrain, liberté d’expression et beaucoup de talent balle au pied. Sócrates a une fois de plus marqué la saison avec un football exubérant, des talonnades à tout va et des actions sensationnelles, dans son style habituel : calme, froid, élégant et sans précipitation. Le joueur a une nouvelle fois été élu joueur de l’année par la revue Placar et, pour la première fois, meilleur joueur sud-américain par le journal El Mundo.

Un court passage en Italie avant un retour au Brésil

Socrates (ACF Fiorentina), 1984/85

Après avoir été éliminé par le grand Fluminense d’Assis, Branco, Ricardo Gomes, Delei, Romerito et Washington lors du championnat brésilien de 1984, Sócrates a rejoint la « vague italienne », qui avait déjà pris d’autres stars du football brésilien comme Falcão (AS Roma), Júnior (Torino), Zico (Udinese) et Toninho Cerezo (AS Roma), en signant à la Fiorentina. A Florence, il n’est pas parvenu à jouer le football qui le caractérise à cause notamment de l’idole de Viola, l’Argentin Daniel Passarella, qui n’aimait pas et se plaignait du style de jeu cadencé du crack brésilien. C’est l’un des motifs qui explique le court passage de Sócrates dans le football européen, qui est rentré au Brésil un an plus tard pour jouer pour Flamengo, où il a retrouvé son coéquipier Zico.

Mais, à 32 ans, il ne répond pas aux attentes placées en lui en raison de sa condition physique, qui n’est pas la meilleure à cause de la vie de bohème de la star, et de blessures à répétition. Sócrates n’a joué que 20 matches avec le rubro-negro, avec qui il a marqué cinq buts.

Son dernier Mondial

Malgré cela, Sócrates a été convoqué pour disputer la Coupe du monde 1986, au Mexique. En terres latines, il ne brille pas comme en 1982, mais il marque tout de même un but contre l’Espagne, lors du match d’ouverture. Dans ce match, un fait curieux a attiré l’attention. Au moment de l’hymne national brésilien, dès les premières notes, Sócrates a baissé la tête et fait un signe de désapprobation. La raison ? Les Mexicains jouaient l’hymne du drapeau au lieu de l’hymne national…

Sócrates a ensuite retrouvé le chemin des filets sur penalty en huitième de finale, contre la Pologne (4-1). C’est de la même manière que Sócrates passera de héros à vilain en quart de finale contre la France. Après un match nul 1-1 à la fin du temps réglementaire, il a fait partie des tireurs lors de la séance de tirs fatidique. Sócrates a frappé sans élan et le gardien français Joël Bats a repoussé son tir. Le Brésil a perdu 4-3 et a été éliminé de la Coupe du monde. Cette rencontre serait la dernière de Sócrates en compétition officielle avec le Brésil. Malgré une génération aussi talentueuse, il ne sera pas parvenu à gagner de Coupe du monde.

La fin d’un génie

Après avoir disputé la Coupe du monde et remporté le titre de champion carioca 1986 avec Flamengo, Sócrates a connu un bref passage à Santos de 1988 à 1989, avant de faire officiellement ses adieux au football avec Botafogo-SP en 1989.

C’était la fin de carrière de l’un des plus grands joueurs du football brésilien et mondial. Après avoir raccroché les crampons, Sócrates s’est concentré sur sa carrière de médecin, a ouvert une clinique à Ribeirão Preto, a joué quelques matchs amicaux et a même tenté (sans succès) une carrière d’entraîneur pour des clubs comme Botafogo-SP, LDU-EQU et Cabofriense-RJ.

En raison de son alcoolisme, de son tabagisme (il fumait même pendant les mi-temps des matchs) et de sa vie de bohème, Sócrates n’a pas pu résister à plusieurs hospitalisations et problèmes de santé et est décédé le 04 décembre 2011, suite à une défaillance multiple des organes causée par un choc septique. Le destin a voulu que le jour de sa mort, le Corinthians, son club le plus cher avec lequel il a vécu les meilleurs moments de sa carrière, remporte son cinquième titre de champion du Brésil après un match nul et vierge contre son plus grand rival, Palmeiras. Avant et après le match, les supporters et les joueurs ont rendu d’innombrables hommages à leur idole, comme avant le coup d’envoi, lorsqu’ils ont levé le poing vers le ciel, geste que faisait Sócrates pour célébrer ses buts.

De là-haut, le Docteur a reçu les hommages et le titre national en cadeau. Sócrates a certainement été ému, tout comme les Brésiliens et tous les amoureux du football se sont émus de l’adieu d’un symbole d’élégance, de passion, de classe et d’art du football. Sócrates était, et sera toujours, une légende du football.

Son parcours professionnel en bref

Les clubs où il a joué

  • Botafogo de Ribeirão Preto-BRE (1974-1978 et 1989)
  • Corinthians-BRE (1978-1984),
  • Fiorentina-ITA (1984-1985),
  • Flamengo-BRE (1985-1986),
  • Santos-BRE (1988-1989).

Les titres remportés en club

  • 1 Taça Cidade de São Paulo (1977) avec Botafogo-SP
  • 3 Championnats Paulistas (1979, 1982 et 1983) avec le Corinthians.
  • 1 Championnat Carioca (1986) avec Flamengo.

Les principaux titres individuels remportés par Sócrates

  • 1976 : Meilleur buteur du championnat de São Paulo avec 15 buts (Botafogo-SP).
  • 1980 : élu Bola de Prata par la revue Placar
  • 1982 et 1983 : élu Craque do ano par la revue Placar
  • 1982 : élu 5e Meilleur joueur du monde par la revue World Soccer
  • 1983 : élu Meilleur joueur sud-américain de l’année par le journal El Mundo
  • 2004 : élu joueur du FIFA 100

Plus de chiffres :

Sócrates a disputé 63 matchs et marqué 25 buts avec la Sélection du Brésil.

Il est le huitième meilleur buteur de l’histoire du Corinthians avec 172 buts inscrits.

Sócrates : goals & skills

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